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Comment à coup de hashtags et de propagande la Thaïlande et le Cambodge s’affrontent sur les réseaux sociaux alimentant un conflit qui n’en finit plus

Sur les réseaux sociaux thaïlandais comme cambodgiens, les images générées par l’IA, la désinformation et les hashtags belliqueux n’ont pas vraiment contribué à résoudre le conflit. Pour de nombreux observateurs, ils ont même attisé les tensions, ravivant l’incendie il y a quelques jours, alors qu’un cessez-le-feu avait été signé en juillet.

Une poudrière qui ne dit pas son nom. Dans un post Facebook daté du 17 septembre, des photos de soldats et de civils, sorties de leur contexte, circulent avec la légende: « Des soldats cambodgiens utilisent des civils comme boucliers humains ». Les hashtags #TruthFromThailand et #CambodiaOpenedFire apparaissent, comme dans de nombreux commentaires.

Alors que le conflit ouvert semblait s’être apaisé depuis la paix conclue sous l’égide américaine durant l’été, un regain de tension début novembre, avec un mort côté cambodgien et un blessé grave côté thaïlandais, a révélé l’incapacité des deux pays à s’entendre, ramenant la situation à celle d’il y a trois mois, lorsque les affrontements frontaliers avaient fait plus d’une quarantaine de morts.

Depuis le cessez-le-feu du 28 juillet 2025, les combats ont certes diminué, mais la guerre de l’information continue de faire rage sur les réseaux sociaux, où, derrière les appels à la paix, une rhétorique nettement plus belliqueuse ne cesse de s’amplifier.

“Le Cambodge a tiré en premier”

En Thaïlande, la stratégie numérique de l’armée s’appuie sur la mobilisation de l’opinion publique via des hashtags tels que « Les Thaïlandais aiment la paix mais ne sont pas des lâches », « Le Cambodge a tiré en premier » et « CambodiaOpenedfire ». Ces mots-clés présentent le Cambodge comme l’agresseur à l’origine des hostilités du 24 juillet, qui ont causé au moins 20 morts parmi des civils et des militaires et entraîné l’évacuation de 97.000 habitants de villages frontaliers vers des zones sécurisées dans quatre provinces.

La publication Facebook appelait les Thaïlandais à utiliser des hashtags pour exprimer leur soutien à l’armée. D’autres unités, comme la Force aérienne royale thaïlandaise, ont diffusé des messages similaires invitant également à l’action © facebook

Cette tactique, qui consiste à encourager massivement la population à relayer ces hashtags, s’appuie sur des récits nationalistes profondément ancrés et s’inscrit dans une stratégie plus large de « mobilisation de l’information », où la participation citoyenne au discours numérique devient un outil au service des objectifs de l’État, selon un rapport de l’Institute of Southeast Asian Studies (ISEAS), organisme de recherche relevant du ministère de l’Éducation de Singapour.

Parallèlement, les médias cambodgiens et les influenceurs en ligne ont diffusé de la désinformation avec une vidéo truquée d’un prétendu « raid aérien thaïlandais », largement partagée sur internet, la présentant comme une incursion agressive repoussée par les forces cambodgiennes. Après vérification, il s’est avéré que les images, censées montrer un avion thaïlandais abattu, provenaient en réalité de la guerre russo-ukrainienne.

Des soldats de l’armée de Thaïlande photographiés à bord de véhicules blindés sur une route de la province de Chachoengsao, le 24 juillet 2025. © LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP

L’objectif de cette vidéo était de mobiliser le soutien populaire au Cambodge et de remonter le moral de la population en projetant l’image d’une résistance victorieuse, suggérant ainsi que l’armée cambodgienne pouvait vaincre la puissance aérienne thaïlandaise.

Ce qui contribue à renforcer l’image du Cambodge comme une nation résiliente et opprimée. Cette pratique rappelle également les tactiques utilisées dans d’autres conflits, où des images étrangères recyclées sont stratégiquement utilisées pour susciter l’indignation et manipuler l’opinion publique.

Cyberattaques et désinformations

Mais l’aspect numérique du conflit ne s’arrête pas là. Les cyberattaques ont pris une importance croissante en juin 2025 lorsque les médias thaïlandais ont rapporté que des pirates informatiques cambodgiens, connus sous le nom d’AnonsecKh , lançaient des attaques par déni de service distribué (DDoS) contre les sites web d’institutions gouvernementales, militaires et privées thaïlandaises.

Des allégations, non prouvées pour l’heure, ont également fait état de l’utilisation par le Cambodge de pirates informatiques nord-coréens pour mener des cyberattaques contre des institutions thaïlandaises.

En juillet dernier, le Cambodge a officiellement nié tout lien avec des hackers de Pyongyang et a accusé la Thaïlande de tenter de nuire à sa réputation internationale. Par ailleurs, le gouvernement cambodgien a signalé que des pirates informatiques thaïlandais, connus sous le nom de « BlackEye-Thai« , ciblaient les sites web d’institutions gouvernementales cambodgiennes depuis la mi-juin 2025.

Pour Wasin Pantong, maître de conférences au Département de science politique et de gouvernement de l’Université Thammasat, de Bangkok (Thaïlande), les fausses informations se déclinent en trois types : textuelles, vidéo et visuelles. “Je les représente dans des cercles qui se chevauchent, car il arrive qu’un même message combine deux ou même les trois types. Le plus souvent, d’après mon expérience, ils sont utilisés simultanément”, expliquait-il, lors d’un colloque sur la guerre de l’information lors de ce conflit.

Des manifestants thaïlandais brandissent des pancartes nationalistes lors d’un rassemblement au Victory Monument, le 2 août 2025, à Bangkok, en Thaïlande. Les manifestants se sont rassemblés au Victory Monument de Bangkok pour exiger la démission de la Première ministre Paetongtarn Shinawatra avant la décision de la Cour constitutionnelle et pour qu’elle adopte une position plus ferme vis-à-vis du Cambodge dans un contexte de tensions frontalières croissantes. © Photo par LAUREN DECICCA / GETTY IMAGES ASIAPAC / GETTY IMAGES VIA AFP

De son côté, lors du même colloque, Somkid Petchprasert, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Burapha, situé au Sud de Bangkok, soulignait que rumeurs et propagande brouillent en permanence la frontière entre vrai et faux, un phénomène amplifié par le “biais de confirmation”. “Une personne qui a grandi près de la frontière thaïlando-cambodgienne verra ses convictions renforcées par toute information négative sur le Cambodge”, illustrait-il, en rappelant des dictons locaux comme “On ne peut pas faire confiance aux Khmers une fois rassasiés”.

Selon lui, le public sélectionne naturellement les informations qui confortent ses croyances : “Une information peut ne contenir que 10 % de faits, le reste étant embellissement, mais les gens ont tendance à la croire d’emblée.” Il dénonce un système où “n’importe qui peut se prendre pour un journaliste” sans formation ni éthique, dans une course au buzz qui “rend les gens vulnérables à la manipulation”.

Ces dérives peuvent vite dégénérer : “Imaginez des supporters de Liverpool et de Manchester United : une simple provocation peut créer une bagarre. Sans parler de la Thaïlande et du Cambodge”, prévient-il.

Une mécanique des conflits mordernes

Cet exemple thaïo-cambodgien illustre comment, aujourd’hui, les réseaux sociaux sont devenus une véritable mécanique des conflits modernes: ils amplifient les tensions, diffusent rumeurs et propagande, et influencent l’opinion publique, souvent bien avant le déclenchement des hostilités. Pour les armées, maîtriser l’influence est désormais indispensable à toute opération.

Selon l’ancien chef d’état-major des armées françaises, le général Thierry Burkhard, il s’agit même de « gagner la guerre avant la guerre ».

Un soldat cambodgien (à gauche) transporte une roquette B40 au temple de Preah Vihear, dans la province de Preah Vihear, à environ 543 kilomètres au nord de Phnom Penh, le 7 novembre 2008. Le Cambodge et la Thaïlande ont convenu de reprendre les pourparlers visant à résoudre un différend frontalier de longue date qui a fait quatre morts le mois dernier. © Photo par TANG CHHIN SOTHY / AFP

Plus récement, BFM Tech & Co, faisait aussi état d’une nouvelle phase de « la guerre informationnelle » entre les États-Unis et le Venezuela. Les deux pays, déjà opposés sur les plans diplomatique et géopolitique, s’affrontent désormais sur les réseaux sociaux comme dans la presse, chacun cherchant à imposer son récit.

Côté vénézuélien, des images générées par intelligence artificielle mettent en scène une armée prête à défendre le pays face à Washington, alors que les États-Unis renforcent leur présence militaire dans la région, notamment avec un groupe aéronaval et des frappes contre des navires jugés liés au narcotrafic dans la mer des Caraïbes.

En réponse, des comptes américains, souvent proches du mouvement MAGA, diffusent eux aussi des visuels produits par IA, cette fois pour tourner en dérision l’armée vénézuélienne et en affaiblir l’image. Une bataille numérique où l’IA amplifie encore un peu plus la confrontation entre les deux nations, envemine les choses, diffuse le poison insidieux de la propagande et du mensonge, attisant des haines apprises. Exactement comme entre la Thaïlande et le Cambodge…

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