Skip to content

L’essentiel du jour, rien que pour vous.

« Rendre accessible un contenu qui fait peur »: sur Tiktok, en chanson ou grâce à une Lamborghini Urus, les professeurs débordent d’inventivité pour faire passer le savoir, et parfois devenir des stars

Sur Tiktok, les professeurs transforment révisions, équations et dissertations en vidéos ludiques. Entre promesse d’un séjour au ski, chansons de SVT et philosophie version « Demon Slayer », ces enseignants 2.0 réussissent à capter l’intérêt de millions d’élèves.

Au milieu des challenges de danse, des critiques de cinéma ou de l’ouverture du dernier calendrier de l’avent à la mode, les équations de Lucas Math 4 détonnent. « Tu choisis un nombre entre 0 et 100, j’ai sept chances de le retrouver. Si j’ai perdu, je te fais un chèque de 5.000 euros », lance le professeur de maths à sa classe de Terminale.

Son objectif? Expliquer la méthode de la dichotomie à ses élèves pour donner un encadrement de la solution d’une équation, un des exercices phares au bac. Mission réussie pour l’enseignant dont la vidéo a dépassé les 4,2 millions de vues sur Tiktok. Des publications comme ça, Lucas en partage tous les jours. Il propose de mettre un 20 coefficient 8 dans la moyenne à celui qui lui donne la définition d’un vecteur et explique les fonctions en offrant des côtes de boeuf à ses élèves.

Une nouvelle façon de réviser

En moyenne, ses contenus culminent entre 300.000 et 5 millions de vues. Pourtant, Lucas Math n’avait pas vraiment anticipé ce succès. Pour le professeur, tout a commencé sur les suggestions d’un de ses élèves, également créateur de contenus. « Je poste la vidéo alors qu’il n’y a que ma classe de Seconde qui est abonnée à moi, c’est-à-dire 20 abonnés », raconte-t-il à Tech&Co, lors des Tiktok Awards, le 8 décembre dernier.

Dans la nuit, l’algorithme s’emballe. La vidéo dépasse les 3 millions de vues en 48 heures. Le professeur gagne 100.000 abonnés dans la nuit.

« Je ne savais pas que ça allait me tomber dessus. Après, il faut endosser le costume, mettre la cravate et y aller », sourit-il.

Les élèves n’ont pas encore délaissé les fiches de révision et les manuels. Mais depuis quelques années, ils révisent également sur Tiktok. En 2024, 20% des lycéens en filière générale vont sur Tiktok pour réviser, selon les éditions Hatier. Le hashtag #ApprendreSurTikTok regroupe près de 400.000 publications depuis son apparition il y a cinq ans.

Demon Slayer et tueurs en série

Un phénomène qui n’a pas échappé à l’oeil de la plateforme. Depuis avril 2024, le réseau social a lancé STEM, son fil d’actualités et contenus éducatifs. On y trouve des informations autour des sciences, technologies, ingénierie (engineering, en anglais) et mathématiques. Le tout, vérifié et approuvé par deux organismes, Common Sense Networks et Poynter Institute.

Chaque année, de plus en plus de professeurs se lancent pour partager leur quotidien en classe, donner leurs listes de lecture ou faire part d’une astuce pour retenir les capitales des pays ou le fonctionnement de la tectonique des plaques. Tous s’échinent à trouver des concepts originaux pour mettre le savoir à portée de tous. C’est le cas de Lev Fraenckel. Le professeur de philosophie a lancé son compte en 2022, à l’approche du bac.

« Malgré tous les efforts que je déployais, une partie de ma classe n’en avait rien à faire du cours » se souvient le professeur de philosophie, interrogé par Tech&Co en juin 2024. « En tant que prof, c’est très difficile à vivre. »

Il décide alors de résumer le programme de philosophie en une vingtaine de vidéos. Le concept cartonne. Depuis, il travaille à intégrer des références « pop culture » dans la majorité de ses cours 2.0 pour les rendre plus fun. « Pour les intéresser, je pars d’exemples qu’ils connaissent, de questions qu’ils se posent. Si la démarche vient d’eux, ils apprennent plus efficacement et sans s’en rendre compte », précise-t-il. Il questionne la philosophie de Demon Slayer et explique pourquoi les utilisateurs sont fascinés par les tueurs en série.

« Rendre accessible un contenu qui fait peur »

Même méthode pour SVTimeToLearn. Il propose des musiques pour réviser les cours de SVT. Les élèves peuvent ainsi apprendre le chapitre de géologie de première simplement en retenant les paroles d’une chanson. Des méthodes originales qui permettent d’attirer des jeunes, parfois réticents, donc. Le leitmotiv de Lucas Math? « Rendre accessible un contenu qui fait peur ».

« On nous dit depuis petits que les épinards, ce n’est pas bon. Donc en fait on n’aime pas les épinards sans les avoir goûtés. Et on a toujours nos parents qui disent que les mathématiques c’est dur. Ils en ont souffert à l’école. Et moi j’ai vraiment envie que les jeunes se disent que ce n’est pas si difficile que ça », précise-t-il.

En novembre, le professeur s’est amusé à proposer à ses élèves de conduire sa Lamborghini Urus pour comprendre les calculs de vitesse. La vidéo a dépassé les 5 millions de vues. Dans un autre Tiktok, il invite ses élèves au ski à condition qu’ils comprennent la translation des vecteurs. La vidéo a dépassé les 5 millions de vues.

« Nous on est là, dans notre canapé, on se dit: ‘t’imagines, il y a 90 stades Vélodrome qui ont vu la vidéo et qui se disent: « Ouah les vecteurs finalement c’est pas si chiant que ça en fait »‘ », sourit-il.

« Sans prof, j’ai eu 17 grâce à lui »

La plus belle récompense pour ces professeurs-influenceurs? Faire changer les élèves d’avis sur leur matière. Sous les vidéos, les internautes sont dithyrambiques. « Je viens vraiment de regarder 7 minutes 46 de vidéo sur les maths », s’étonne un utilisateur, dans l’espace-commentaire de Lucas Math. « Ecoutez-le! Sans prof, j’ai eu 17 grâce à lui », lance une autre sur le compte de Serial Thinker.

« C’est une aventure incroyable et j’ai beaucoup de retours. Il y a un impact et c’est ce qui fait que ces contenus ont du sens. C’est ce qui fait qu’on a envie d’y aller chaque jour », observe Lucas Math. Pour autant, le professeur ne délaisse pas son travail en classe. « Je suis assez strict. Ma classe de Terminale a obtenu une moyenne de 16/20 en maths au bac. C’est ce qui me donne envie de continuer », insiste-t-il.

« Cette reconnaissance, c’est la meilleure partie de Tiktok. Même quand un étudiant me dit qu’il a eu 10, au lieu de 3, ça me va », nous confie Sélène, alias enelsg. Tous les jours, la professeure de français décortique le programme pour ses 600.000 abonnés.

Si ses contenus dépassent facilement les 500.000 vues, Sélène reste catégorique. Les Tiktok sont un excellent complément aux manuels scolaires. Mais ils ne suffisent pas. « Mon objectif, ce n’est pas de me substituer au travail des enseignants en classe. Mais d’aller rassurer les élèves pour qu’ils comprennent ce qui les attend, et qu’ils arrivent sereins aux épreuves », détaille-t-elle, tout en rappelant l’importance du travail personnel.

Mais le parcours de ces professeurs ultra-connectés reste semée d’embûches. Si les cours de mathématiques posent rarement problème à l’algorithme, ce n’est pas forcément le cas des cours de politique ou d’histoire. Les professeurs s’amusent donc à tromper la modération en modifiant certains mots-clés pour ne pas être détectés par l’algorithme.

« J’arrive très bien à piéger un peu l’algorithme », reconnaît pour Tech&Co Lilisuperbelle, étudiante en sciences politiques et relations internationales, nommée dans la catégorie Education aux Tiktok Awards. La jeune femme partage depuis quelques années des décryptages sur des sujets géopolitiques.

Modération et régulation

« Je parle de guerre civile, d’immigration et d’actualité internationale », souligne-t-elle. « Alors, j’essaye de trouver des alternatives, de remplacer des mots, d’utiliser des abréviations… Par exemple ‘agression’ avec des astérisques ou ‘sexe’ devient ‘seggs’. »

Les résultats sont au rendez-vous. « Toutes les vidéos où je parle de sujets comme la guerre civile ou l’immigration sont celles qui font le plus de statistiques. C’est là où les gens commentent le plus », conclut-elle.

L’algorithme pose également problème aux législateurs. En effet, le réseau social de vidéos courtes et surtout, son algorithme, inquiètent. A la mi-septembre, la commission d’enquête parlementaire sur Tiktok s’est alarmée des effets « dévastateurs » du réseau social sur la santé mentale des jeunes. L’algorithme, jugé « hautement addictif », est accusé d’enfermer les internautes dans une « bulle de filtre », c’est-à-dire de proposer uniquement des contenus similaires les uns des autres.

Face à ce constat, Emmanuel Macron a promis d’interdire les réseaux sociaux avant 15 ou 16 ans. Mais pas de quoi inquiéter ces professeurs. « Il n’y a aucun homme politique qui serait contre le fait que des gamins, même à 21h30, voient des vidéos de mathématiques ou de SVT, contrairement à des vidéos qui peuvent ne pas être forcément adaptées à un jeune public », estime Lucas Math 4.

« Il faut avoir un regard sur ce qui est posté. Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux, ça doit être un vecteur d’apprentissage », propose-t-il. Et dire que certains pensaient que les vecteurs ne cartonneraient jamais sur Tiktok.

Source

No comment yet, add your voice below!


Add a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Initiales logo Exotik Garden
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.