Le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio a appelé la Chine à intervenir auprès du régime iranien pour éviter un blocage du détroit d’Ormuz, dont Pékin dépend pour son approvisionnement pétrolier.
Les Etats-Unis tentent de faire pression sur la Chine pour tempérer la réponse de l’Iran aux frappes ayant visé ses installations nucléaires. Le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio a appelé, ce dimanche 22 juin, Pékin à pousser Téhéran à ne pas fermer le détroit d’Ormuz – où passe 20% de la production mondiale de pétrole et de gaz.
« J’encourage le gouvernement chinois à les appeler à ce sujet, car ils dépendent fortement du détroit d’Ormuz pour leur pétrole », a déclaré Rubio, alors que le parlement iranien a approuvé une mesure visant à fermer le détroit.
Ce scenario, qui ne se matérialise pas pour l’heure, pourrait conduire à une flambée des prix de l’or noir. Selon les calculs de la Deutsche Bank, une fermeture du détroit pendant deux mois pourrait pousser les prix du baril de brent à 124 dollars au troisième trimestre 2025. Ce niveau n’a pas été atteint depuis 2012 (le record historique est à 145 dollars le baril en juillet 2008).
De nombreux analystes estiment toutefois que la Chine ne laisserait pas l’Iran bloquer le détroit d’Ormuz.
« L’Iran ne pourra pas fermer le détroit d’Ormuz sans un plan B pour continuer à approvisionner la Chine », estime ainsi la société TankerTrackers, spécialisée dans le suivi des exportations de pétrole, sur X.
Un blocus dans cet étroit passage maritime serait en effet particulièrement problématique pour la Chine, alors que l’essentiel du pétrole (84%) transitant par le détroit d’Ormuz est destiné au continent asiatique selon l’Agence d’information sur l’énergie (EIA).
La Chine importait au premier trimestre 5,4 millions de baril/jour de brut franchissant Ormuz. L’Arabie saoudite était l’an dernier son deuxième plus gros fournisseur d’or noir, avec 1,6 million de barils/jour, soit 15% de ses importations totales, selon l’EIA.
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Pétrole acheminé par la flotte fantôme
Surtout, la Chine absorbe plus de 90% des exportations pétrolières de l’Iran, selon Kpler. Pékin est l’un des rares pays à acheter du napthe iranien, alors que ce produit est frappé par des sanctions américaines depuis 2018 et le retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien par Donald Trump.
Pour la Chine, ce pétrole présente un avantage notable: il est moins cher que le pétrole acheté sur le marché classique. Compte tenu des sanctions, il est vendu par l’Iran avec une décote, qui était estimée à 5 dollars le baril par Homayoun Falakshahi, analyste pour Kpler, dans un article de la BBC l’année dernière. Cette décote aurait depuis baissé pour se situer autour de 2 dollars le baril selon le Wall Street Journal.
Pour contourner les sanctions, le napthe iranien est acheminé en Chine par la « flotte fantôme », c’est à dire via des pétroliers de contrebande jusqu’en Asie du sud-est, où les cargaisons sont transbordées vers des navires chinois.
Le pétrole brut atterrit enfin dans des raffineries indépendantes, appelées « théières », en particulier dans la province de Shandong, au sud de Pékin, pour y être transformé.
La circulation maritime continue dans les deux sens du détroit d’Ormuz ce lundi 23 juin à 17h30. © Marine Traffic / Capture d’écran
Le pétrole iranien fait donc tourner toute une économie, qui pourrait se retrouver fragilisée si le pétrole iranien venait à manquer, en cas de blocage du détroit d’Ormuz ou de frappes sur l’île de Kharg. De manière générale, des perturbations importantes sur les marchés énergétiques feraient pression à la baisse sur sa croissance.
De manière générale, les intérêts chinois résident donc plutôt « dans un cessez-le-feu, et non dans une guerre plus large. Je ne pense pas que les Chinois soutiendront des frappes iraniennes contre les États-Unis », note Bonnie Glaser, responsable du programme Indo-Pacifique au German Marshall Fund, dans le New York Times. La Chine s’est contentée de critiquer publiquement l’initiative américaine.
L’Iran dépend de la Chine
Dans cette affaire, Chine et Iran ne commercent pas à égalité. Au contraire, c’est une relation très asymétrique. Très dépendante de ses revenus pétroliers, la République islamique dépend fortement de son premier client alors que le pétrole iranien ne représente « que » 10% de la consommation d’or noir en Chine.
« Ces sanctions nous ont piégés dans un piège colonial du XIXe siècle », déclarait d’ailleurs Hojatollah Mirzaei, directeur du Centre de recherche de la Chambre de commerce iranienne, l’année dernière.
En clair, pour son pétrole, Pékin peut remplacer Téhéran (même si ce serait probablement coûteux) mais l’inverse est moins vrai. Cela donne donc aux dirigeants du Parti communiste chinois (PCC) un potentiel moyen de pression sur les mollahs pour les inciter à empérer leur réaction à l’offensive américaine et préserver leurs intérêts.
Dans les faits, de nombreux observateurs estiment donc que l’Iran n’a pas intérêt à bloquer le détroit d’Ormuz.
« Ce serait une blessure auto-infligée: couper le détroit arrêterait le flux de ses exportations de brut vers la Chine, interrompant ainsi une source de revenus essentielle », estime également Matt Smith, analyse pétrolier chez Kpler, auprès du média américain CNBC.
Des brouillages mais pas de blocage
Au fond, ces menaces répondent peut-être à une autre logique. Javier Blas, le chroniqueur de Bloomberg sur les matières premières, indique sur X qu’il continue de penser que les annonces de fermeture du détroit, formulées par des « fonctionnaires de rang inférieur » iraniens, servent surtout à faire grimper les prix du pétrole – et donc à remplir un peu les caisses vides de l’Iran – mais que passer des paroles aux actes nuirait à l’Iran et à « la Chine, son plus gros client pétrolier ». Cette analyse est confirmée par la société TankerTrackers.
Pour l’heure, les analyses ne rapportent toujours pas de perturbation signicative dans le détroit. « Plusieurs pétroliers ont traversé le détroit d’Ormuz ce matin, à l’arrivée comme au départ. Aucune perturbation n’a été constatée. Le chargement de pétrole dans plusieurs ports du golfe Persique semble normal. Les exportations de la semaine dernière sont même supérieures à celles du début juin », observe Javier Blas de Bloomberg, ce lundi 23 juin.
En revanche, l’agence de renseignement maritime Windward rapporte des brouillages GPS dans le détroit d’Ormuz depuis le début de la guerre entre l’Iran et Israël.
« Dans le détroit d’Ormuz, le brouillage GPS – plutôt que le détournement de navires ou le blocage du trafic commercial – semble être la tactique préférée des acteurs régionaux en cas d’agression en zone grise, car elle menace sans entraver directement le flux maritime », note l’agece.
Windward signale également une nette augmentation des primes d’assurance pouvant représenter un surcoût d’1,2 million de dollars supplémentaire par voyage.
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