Rachida Dati a été renvoyée en procès pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire Renault-Nissan. Dénonçant une « instrumentalisation honteuse », elle conteste les faits, mais multiplie les imprécisions dans sa défense.
L’heure est à la défense pour Rachida Dati. Ce mardi, la ministre de la Culture a été renvoyée en procès pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire Renault-Nissan.
Elle est soupçonnée d’avoir perçu 900.000 euros entre 2010 et 2012 pour des prestations de conseil actées dans une convention d’honoraires signée le 28 octobre 2009 avec RNBV, filiale de l’alliance Renault-Nissan, mais sans avoir réellement travaillé, alors qu’elle était avocate et députée européenne. Les investigations ont cherché également à déterminer si cette convention d’honoraires avait pu servir à masquer une activité de lobbying au Parlement européen, interdite à tout élu.
Des faits qu’elle conteste, une position rappelée dans une interview chez nos confrères de LCI quelques heures après la décision des juges d’instruction.
Pendant environ 30 minutes, la ministre de la Culture a dénoncé une « instrumentalisation honteuse » et « une procédure émaillée d’incidents ». Surtout, Rachida Dati a pris ses libertés avec les faits du dossier.
Table des matières
• Sur son lobbying supposé au Parlement européen
La ministre de la Culture a assuré n’avoir posé que deux questions connexes à l’industrie automobile au Parlement européen, alors qu’elle était eurodéputée.
« Ce sont des interpellations sur un sujet d’actualité, ce n’est pas un vote et ça n’influe pas sur un débat ou une législation en cours », s’est-elle défendue, sur LCI, estimant qu’il ne s’agit donc pas de lobbying.
Mais les juges d’instruction avancent d’autres éléments, comme des mails, un compte-rendu de réunion ou des questions écrites. Par exemple, dans le dossier figure la remise à Rachida Dati par un membre de Renault de notes sur la réglementation européenne le 3 décembre 2009. Dans leur ordonnance de renvoi, les juges d’instruction évoquent aussi un email daté du 5 janvier 2010 dans lequel des activités de lobbying au Parlement européen sont évoquées.
• Sur son travail pour Renault-Nissan dans quatre pays
Sur LCI, Rachida Dati a expliqué avoir travaillé pour maintenir l’activité de Renault et la développer dans quatre pays: l’Iran, la Turquie, le Maroc et l’Algérie. Sur cette zone, il y a « des enjeux de fermeture de site, de limitation de développement (…) et d’expropriation ».
Elle se défend d’avoir fait de nombreux déplacements sur place et avoir permis d’y sauver une usine. « Sur ces quatre pays, j’ai exercé ma mission d’avocate sur ces trois ans dans le contexte très fracturé de l’époque », a-t-elle déclaré ce mardi soir.
Son avocat Basile Ader estime ce mercredi soir sur BFMTV que sa cliente « a sauvegardé des intérêts de Renault » en Turquie, en Iran, en Algérie et au Maroc, qui « valaient beaucoup d’argent ». L’avocat souligne sa « notoriété légitime » dans cette région, grâce à laquelle elle « peut permettre à une entreprise de décrocher un rendez-vous, d’avoir un appel d’offres ».
Mais, dans leur ordonnance, les deux juges d’instruction estiment que « ‘les traces (de travail) sont très limitées ».
« Aucun des témoins entendus dans la procédure n’objective les interventions de Rachida Dati au Maghreb ou au Moyen-Orient pour le compte de Renault, et encore moins pour Nissan », poursuivent-ils.
Par exemple, les juges d’instruction se montrent perplexes sur l’action de Rachida Dati sur l’usine de Tanger, au Maroc. Rachida Dati se félicite d’avoir « débloqué » cette affaire. Mais, « aucun des cadres de Renault directement en charge de ce dossier n’avaient été informés ni même n’avait eu vent d’une quelconque intervention de Rachida Dati sur ce projet d’usine qui relevait directement de leurs attributions », notent les juges d’instruction.
Autre point d’interrogation sur l’action de Rachida Dati, le parquet national financier pointe qu’elle n’a demandé le remboursement d’aucun frais de déplacements, alors que la convention d’honoraires précisait bien qu’elle y avait droit.
• Des attestations de travail d’une valeur « très faible »
Pour prouver la valeur de son travail, Rachida Dati a évoqué des attestations qui, selon elle, montre qu’elle a bien travaillé au Maghreb et Moyen-Orient. La ministre de la Culture déplore que la justice n’en ait pas tenu compte.
Dans son réquisitoire définitif, le parquet national financier revient sur ce point avec des mots très durs, rappelant qu’elle a « dans un premier temps refusé de donner les noms des personnes qu’elle aurait rencontrées au cours de ses missions ». Puis, Rachida Dati s’est « ravisée lors d’un interrogatoire ultérieur » et « a produit quelques attestations censées démontrer la réalité de ses interventions », selon le PNF. Ces derniers qualifient de « très faible » la valeur probatoire de ces attestations.
L’ambitieuse Rachida Dati, la ministre que personne n’attendait
Sur LCI, Rachida Dati a notamment cité le cas de Jean-Pierre Raffarin, auteur d’un de ces documents. Mais le PNF estime que « cette attestation ne renseigne nullement sur la consistance réelle de l’intervention de Rachida Dati dans les dossiers au Maghreb ». « Vous avez une catégorie d’avocat qui ne laisse aucune trace » de travail, juge de son côté Basile Ader sur notre antenne.
• « Des dizaines de pages manquantes », selon Rachida Dati
Rachida Dati a attaqué à de nombreuses reprises le travail des juges d’instruction, estimant notamment « avoir été mise en examen sur un rapport incomplet », dans lequel « des dizaines et des dizaines de pages sont manquantes ».
D’après elle, il manque au dossier le contrat d’avocat au dossier judiciaire. Elle explique que lorsque Carlos Ghosn a été interrogé au Liban, on lui a montré un contrat sur lequel figurait des paraphes. Or, le contrat au dossier est dépourvu de paraphes. La ministre de la Culture estime donc que la justice a perdu ce document qui, à ses yeux, est essentiel.
Selon nos informations, le fameux contrat montré au Liban à Carlos Ghosn ne présentait pas un paraphe mais un post-it avec un dessin de main indiquant où il fallait signer. La justice s’en est expliqué, et Rachida Dati a déjà été déboutée de ses requêtes sur ce point.
Autre attaque de Rachida Dati contre le travail de la justice: elle dit avoir été reçue par Jean-François Bonhert, le procureur national financier. Lors de l’entretien, celui-ci lui aurait dit que les accusations contre elle ne « tenaient pas » et que son équipe au sein du parquet était « désorganisée ».
Mais, le principal intéressé a rappelé ce mercredi matin via un communiqué « avoir cosigné en personne le réquisitoire définitif sollicitant le renvoi de Mme Dati devant le tribunal correctionnel ». Pour Jean-François Bonhert, cela « valide ainsi l’analyse qui lui avait été soumise par les magistrats placés sous son autorité. »
Rachida Dati a présenté d’autres approximations ce mardi soir chez nos confrères de LCI. Par exemple, elle a affirmé que Renault-Nissan n’est pas partie civile, alors que cela est le cas depuis plusieurs années. La ministre de la Culture a aussi indiqué que l’enquête avait été classée sans suite au départ, alors qu’aucune décision en ce sens n’a été prise. « Quand on lui dit les choses, elle les croit », explique sur ce point Basile Ader, avocat de Rachida Dati, sur BFMTV ce mercredi.
Concernant le procès, une première audience de fixation doit avoir lieu le 29 septembre, selon une source judiciaire contactée par BFMTV. Lors de cette audience, toutes les parties débattront de l’organisation du procès et de la date à laquelle celui-ci pourrait se tenir.
D’après une source proche du dossier à BFMTV, une date après les élections municipales de 2026 est d’ores et déjà envisagée pour la tenue de ce procès.
Vincent Vantighem, avec Matthieu Heyman
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