L’Union européenne a récemment détricoté un certain nombre de mesures, notamment concernant la protection de l’environnement. La commission met en avant la necéssité d’alléger la charge bureaucratique qui pèse sur les entreprises face à la concurrence chinoise et américaine.
L’Union européenne est-elle en train d’aller contre sa nature? Celle qu’on appelle parfois « la machine à fabriquer des normes » est revenue ces dernières semaines sur un certain nombre de mesures et de règlements. Véritable recul écologique pour les uns, début du chemin vers la simplification pour d’autres: une chose est sûr, quelque chose se passe à Bruxelles.
L’UE semble ainsi répondre au signal d’alarme lancé par le rapport Draghi, qui alertait sur un décrochage de compétitivité de l’Europe face aux États-Unis et à la Chine, et qui appelait (entre autres) à « réduire la charge administrative inutile ». Ursula von der Leyen semble même avoir repris ce combat à son compte, appelant dans son discours sur l’état de l’Union, à « faciliter la vie des entreprises ».
Dans une démarche un poil schizophrène, la présidente de la Commission européenne s’emploie donc actuellement à détricoter un certain nombre de mesures qu’elle avait elle-même portées.
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Des mesures de dérégulation en cascade, y compris sur les voitures thermiques
C’est tout l’objet de différents paquets législatifs baptisés « omnibus » et qui ambitionnent de lever les contraintes sur les entreprises. Il y a tout d’abord le devoir de vigilance, adopté il y a un an et demi seulement et vidé de sa substance par une alliance entre la droite, l’extrême droite et les centristes au Parlement. Cette loi emblématique devait obliger les grandes entreprises à empêcher les violations des droits humains et les dommages environnementaux tout au long de leurs chaînes de valeur, y compris ceux de leurs fournisseurs dans le monde.
De même, l’Union européenne est revenue sur une directive qui devait forcer les entreprises à évaluer les impacts de leurs activités sur l’environnement et la société et a publié un plan de durabilité. Un reporting extra-financier qui a été abandonné au nom de la lutte contre la bureaucratie.
Une autre mesure de simplification a hérissé le poil des associations environnementales: la Commission a tout récemment proposé d’autoriser sans limite de temps certains pesticides (contre 10 ou 15 ans aujourd’hui) à l’exception des substances jugées dangereuses, afin de simplifier les procédures.
Dernière décision en date, la Commission est revenue sur une mesure emblématique: la fin des moteurs thermiques neufs d’ici 2035. Plutôt que de réduire les émissions de CO2 des voitures neuves de 100% par rapport à la période 2021-2024, ce niveau a été abaissé à 90%. Même si cette rectification est avant tout symbolique.
« Revenir sur le symbole 2035, c’est un signal très fort », remarque Olivier Lluansi, professeur au Cnam et ancien conseiller à l’industrie de François Hollande à l’Elysée.
Une « adaptation nécessaire »
« On pouvait s’attendre à ce que la Commission européenne fasse comme l’État français, des chocs de simplification lors desquels on simplifie une fois et on complexifie trois fois. Mais les annonces actuelles, notamment pour l’automobile, sont des éléments significatifs dans la vie politique européenne », analyse-t-il, notant que l’objectif de neutralité carbone pour 2050 est conservé « car il est essentiel de ne pas remettre en cause la trajectoire de l’Europe ».
Adina Revol, ancienne porte-parole de la Commission européenne et essayiste, parle d’un véritable « réveil » de simplification de l’Europe, qui s’explique selon elle par les bouleversements géopolitiques de ces dernières années.
« La situation n’est pas du tout la même qu’en 2021, l’Europe est bousculée de partout, Trump nous met des tariffs, la Chine est déchaînée, elle a accru sa production de véhicules électriques », remarque la spécialiste.
Pour elle, assouplir l’objectif de la fin des véhicules thermiques en 2035 est une « adaptation nécessaire », au risque de voir les voitures électriques chinoises, qui ont déjà fortement accru leurs parts de marché en Europe, aspirer complètement les constructeurs européens.
« Les panneaux solaires chinois ont déjà tué toute une filière, il ne faut pas rester les bras croisés face à une seconde invasion industrielle chinoise », alerte la spécialiste de questions européennes.
« Le changement est à Berlin »
Mais alors pourquoi maintenant? Qu’est ce qui fait que la compétitivité des entreprises semble devenir une priorité? « Pour moi, le changement est à Berlin, le modèle allemand est en crise, notre première économie est en crise, donc il faut des adaptations », estime Adina Revol.
Une intuition que partage Olivier Lluansi, qui voit les origines de ce mouvement de simplification européen dans le début de la guerre en Ukraine et dans la flambée des prix du gaz.
« Le ‘carburant’ de l’économie allemande, c’était le gaz russe pas cher. Depuis, l’industrie allemande va mal et le plancher se rapproche. Dans le même temps, la Chine ne veut plus se contenter d’être l’atelier du monde, elle veut exporter des produits complets et technologiques et ferme davantage son marché aux produits concurrents allemands », explique le professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
« Cette situation change la donne et fait basculer l’Allemagne dans une quête renouvelée de compétitivité. Elle veut regagner dans la simplification des points de compétitivité qu’elle a perdu dans les prix de l’énergie », analyse le spécialiste.
Autrement dit, lorsque l’économie allemande est aux abois, les choses bougent plus rapidement. Mais comment fait notre voisin pour imposer son tempo?
La droite européenne prend tout son poids
Pour se faire élire, le chancelier allemand Friedrich Merz a fait campagne sur la promesse de déréglementer et de soutenir les entreprises. Et pour faire avancer ses idées, il dispose d’un allié de taille: Manfred Weber, le chef du PPE (parti de droite au Parlement européen, dont est également issue Ursula von der Leyen). Selon Politico, c’est ensemble que le duo Merz-Weber a réussi à abaisser l’objectif de réduction des émissions pour les constructeurs automobiles de 100% à 90%, et à obtenir un certain nombre de dérégulations.
En effet, depuis les élections européennes de 2021, le PPE bénéficie d’une influence grandie. Les équilibres ont changé au Parlement européen, historiquement mené par une coalition entre la droite (PPE) et le centre-gauche (S&D), trouvant des compromis, et sur laquelle s’appuie Ursula von der Leyen pour gouverner. « Le nouveau Parlement européen a radicalement changé (…). La compétitivité, la simplification administrative et la lutte contre l’immigration illégale ont remplacé la transition verte au rang des grandes priorités », observe Isabelle Marchais, dans une note de l’institut Delors.
Dans le même temps, l’influence des sociaux-démocrates a décru, le groupe des Verts s’est sérieusement dégarni, le groupe centriste est divisé, et celui de gauche radicale est numériquement faible.
Pour la première fois, le PPE peut donc contourner les sociaux-démocrates et nouer, selon les circonstances, une majorité de voix de droite. Ainsi, après avoir voté les mesures du Pacte Vert – tout en les critiquant – lors de la précédente mandature, le PPE penche désormais pour les détricoter, à commencer par l’interdiction de vente des voitures thermiques en 2035, mesure symbolique dont Manfred Weber avait promis à ses électeurs d’avoir le scalp.
Ursula von der Leyen peut difficilement faire autrement que de composer avec la puissante influence de son parti, au risque de froisser ses alliés sociaux-démocrates, et de mettre en danger l’alliance sur laquelle repose sa place.
“S’il fait le choix d’une alliance à droite, le PPE pourrait aller très loin en termes de démantèlement du Pacte vert (Green deal), grande priorité de la mandature précédente”, note Isabelle Marchais, relevant toutefois que cette alliance serait relativement étroite.
Pourquoi l’Europe adore les normes et les lois
La question qui se pose finalement est la suivante: une simplification et un allégement de la bureaucratie afin de relancer la compétitivité des entreprises sont-ils possibles sans abandonner les objectifs climatiques que s’est fixés la Commission?
Pour Adina Revol, pour savoir quelles normes sont utiles et lesquelles pourraient être supprimées, encore faut-il avoir une vision d’ensemble.
« Aujourd’hui, on parle beaucoup des normes mais on n’a pas d’état des lieux, on n’a pas de carnet qui recense toutes ces normes. On ne sait pas à quoi elles correspondent », regrette-t-elle.
Pour poser la question autrement, l’Europe peut-elle respecter son objectif de neutralité carbone en 2050 grâce à d’autres outils que les normes? Pas sûr que ça soit dans son logiciel, car les institutions européennes sont fondées sur le droit, la législation.
« L’UE est liée aux traités, aux règles, on se réfère toujours au droit, là où les Etats membre se réfèrent la souveraineté du peuple ou la Nation. Dans les rouages et la culture des institutions européennes, cette réalité est omniprésente », explique-t-il.
Mais selon lui, le retour des « empires » et des rapports de force géopolitiques redéfinissent les habitudes et pourraient pousser l’Europe à revisiter sa gouvernance. « Mais dans le même temps, si les tensions se calmaient, les habitudes bureaucratiques reprendraient certainement », anticipe le spécialiste.
« Cela dit, ce mode de fonctionnement de l’UE a généré beaucoup de ressentiment au sein des peuples européens. C’est une réalité dont les institutions européennes doivent tenir compte quoiqu’il arrive. »


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