Gérard Depardieu a été condamné, en première instance, à 18 mois de prison avec sursis pour agressions sexuelles. L’acteur a également été condamné à verser 1.000 euros, à chacune des plaignantes, au titre de la victimisation secondaire. Un concept récent.
Ce mardi 13 mai, Gérard Depardieu a été condamné, en première instance, à 18 mois de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur le tournage du film Les Volets Verts. Quelques minutes après, lors d’un point presse, les avocates des parties civiles se sont félicitées de la peine prononcée à l’encontre de l’acteur de 76 ans et de sa condamnation à verser 1.000 euros, à chacune des plaignantes, au titre de la « victimisation secondaire », sanctionnant l’attitude de son avocat Me Jérémie Assous lors des débats.
« C’est un symbole fort, c’est une avancée de notre droit », expose Me Carine Durrieu Diebolt, avocate d’Amélie au procès de Gérard Depardieu et auteure du livre Violences sexuelles: quand la justice maltraite, auprès de BFMTV.com. « On avait déjà de la jurisprudence de la cour de cassation, mais qui ne nommait pas la victimisation secondaire. »
« C’est la double peine »
En France, la victimisation secondaire a été mise en lumière au procès dit des viols de Mazan, lors d’une puissante prise de parole de Gisèle Pelicot. Devant la cour criminelle du Vaucluse, elle avait exprimé sa colère, fustigeant les soupçons à son égard sur une éventuelle complicité dans les agressions sexuelles qu’elle a subies.
« Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée. On me traite d’alcoolique, que je me mets dans un état d’ébriété tel que je suis complice de monsieur Pelicot », avait affirmé Gisèle Pelicot.
La victimisation secondaire, « c’est la double peine », expose Me Carine Durrieu Diebolt. « C’est-à-dire que la victime de violences sexuelles a déjà été victime dans un premier temps de violences, d’agressions sexuelles, et dans un second temps, dans le cadre de la procédure judiciaire, elle est victime également soit par l’institution judiciaire quand il y a une lenteur, une répétition des faits à outrance…. »
[INÉDIT] « La maltraitance de prétoire »: la victimisation secondaire au cœur du jugement de Gérard Depardieu
« C’est un concept récent », détaille de son côté Me Romain Ruiz, avocat pénaliste au barreau de Paris. « Il a, dans le processus judiciaire, vocation à modifier les pratiques de la chaîne pénale que ce soit au niveau des policiers, des juges et des avocats », poursuit l’avocat. « Par exemple, le fait de refuser à une victime, et c’est souvent le cas dans le cadre des infractions en matière sexuelle, de lui prendre sa plainte. »
Cette notion de victimisation secondaire est apparue dans un texte juridique pour la première fois dans la convention du conseil de l’Europe, appelée convention d’Istanbul, un traité entré en vigueur en 2014.
« La Cour européenne des droits de l’homme a repris cette notion pour développer sa jurisprudence sur le traitement judiciaire des violences sexistes », expose Nicolas Hervieu, juriste en droit public et enseignant à Sciences-Po. « La Cour s’est ré-appropriée cette notion internationale pour évoquer l’obligation qui pèse sur tous les États de protéger les victimes tout au long du parcours judiciaire. »
« Potentiellement victime de l’ensemble du système »
« Le constat de la notion de victimisation secondaire, qui vient donner une consistance juridique à des obligations qui existaient déjà, c’est que lorsque l’on est victime de violences sexistes et sexuelles, on n’est pas seulement victime de l’auteur, on est aussi victime potentiellement de l’ensemble du système judiciaire. Un système qui, lui aussi, produit, par des biais sexistes et par des maltraitances institutionnelles, des atteintes supplémentaires », poursuit le juriste.
Au procès de Gérard Depardieu, la 10e chambre du tribunal judiciaire de Paris considéré que les parties civiles « ont été exposées à une dureté excessive des débats à leur encontre, allant au-delà des contraintes et des désagréments strictement nécessaires à l’exercice légitime des droits de la défense », peut-on lire dans le jugement.
Le tribunal a donc sanctionné les propos outranciers et humiliants tenus par Me Jérémie Assous, avocat de Gérard Depardieu, à l’égard des plaignantes et de leurs avocates, lors de longues journées d’audience. « C’est de la maltraitance de prétoire » qui a été visée par le tribunal judiciaire de Paris, indique Me Carine Durrieu Diebolt.
Gérard Depardieu condamné: que dit le jugement rendu contre l’acteur?
« Ça a été quatre jours de procès particulièrement virulents et violents à l’égard des victimes. On a eu des injures. On a été traitées d’ignobles, d’abjectes. On a eu toute une reproduction de stéréotypes de genre pendant quatre jours. Des hurlements, des cris de la part de l’avocat de la défense, toute une stratégie pour humilier les parties civiles. »
Au procès de l’acteur, Me Jérémie Assous avait notamment qualifié les avocates des plaignantes d' »hystériques ». « On ne vous croit pas », avait-il également dit à l’une des deux parties civiles. « Je veux bien qu’Amélie ne lise pas Le Monde parce que c’est trop compliqué. Mais qu’elle lise Closer au moins », avait-il lancé. L’avocat avait également invectivé un journaliste qui l’interrogeait, écorché le nom de l’une des deux plaignantes. Il s’était aussi attaqué à Charlotte Arnould. La comédienne qui accuse Gérard Depardieu de l’avoir violée était présente au procès pour soutenir les deux parties civiles.
Amélie, l’une des plaignantes, avait réagi auprès de BFMTV au terme d’une audience électrique. « Ça a été épouvantable. L’agressivité de la défense, c’est quelque chose que je n’avais pas mesuré du tout », expliquait-elle. « C’était, je pense, encore plus violent que l’agression en elle-même (…) Il a pris plaisir à reformuler en hurlant les phrases de mon agression en me les faisant revivre. » « C’était de la torture », « c’était épouvantable », avait-elle ajouté.
« Une négation des droits de la défense »
En condamnant l’acteur à indemniser les deux victimes au titre du préjudice moral aggravé par la victimisation secondaire pendant les quatre jours de procès, « le tribunal nous dit que si la défense est libre d’adopter une stratégie », analyse Me Carine Durrieu Dieblot. « Pour autant, les méthodes qu’elle utilise peuvent être porteuses d’un nouveau traumatisme pour la victime. »
Reste que la décision rendue par le tribunal judiciaire de Paris contre Gérard Depardieu risque de « faire beaucoup discuter », estime Nicolas Hervieu. « C’est un peu audacieux que le tribunal fasse payer civilement à la personne condamnée le comportement de son propre avocat au nom de la victimisation secondaire alors qu’elle n’interdit pas aux personnes de se défendre », analyse-t-il.
« Dans la loi française, il n’est pas interdit à un avocat d’être outrancier. Après, ce sont des questions de pratiques professionnelles. Il y a un équilibre à trouver entre les droits de toutes les parties et le soin qui doit être apporté à l’absence de victimisation secondaire », explique de son côté Me Romain Ruiz.
En sortie d’audience, l’avocat de Gérard Depardieu a dénoncé « une négation des droits de la défense » après la condamnation de son client pour victimisation secondaire. « On considère que le fait de remettre en cause les accusations est une agression supplémentaire (…) On a passé une nouvelle étape. Maintenant, la défense, même dans ce type de procès, n’est plus acceptée. »
Pour Me Carine Durrieu Dieblot, « l’avocat est le porte-parole de son client et derrière l’avocat, c’est Gérard Depardieu qui est le commanditaire des méthodes de défense et du sexisme qui ont porté atteinte à la dignité des victimes. » « Il est donc logique qu’il assume les conséquences au titre du préjudice moral aggravé par la victimisation secondaire. »
Amélie, la cliente de Me Carine Durrieu Diebolt, elle, attendait cette reconnaissance. « Elle en a souffert de cette victimisation secondaire, et c’était important, car c’est un message d’espoir pour les victimes: qu’on ne laisse pas faire, que la justice ne laisse pas faire, et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi non plus dans une enceinte judiciaire. »
La France condamnée par la CEDH
Viols de Mazan, procès de Gérard Depardieu… Ces affaires médiatiques ont mis en exergue le concept de victimisation secondaire. Néanmoins, pour Nicolas Hervieu, le mouvement en faveur de la victimisation secondaire est en marche « depuis quatre ou cinq ans ». « Les juridictions ont pris conscience de la situation et se dotent d’outils juridiques pour penser et agir sur ces situations. »
Récemment, le 24 avril dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné pour la première fois la France pour avoir failli à protéger des mineures qui avaient dénoncé des viols, pointant la victimisation secondaire dont l’une des plaignantes a été victime.
La cour a considéré « qu’à deux reprises, les autorités nationales ont manqué à leur obligation de protéger la dignité de l’intéressée, en l’exposant à des propos culpabilisants, moralisateurs et véhiculant des stéréotypes sexistes propres à décourager la confiance des victimes », détaille Nicolas Hervieu.
Durant la procédure pénale, la jeune fille mineure avait « été décrite comme ayant un succès habituel en matière sexuelle et qu’elle avait un comportement parfois débridé, et ces éléments ont été retenus pour relativiser les faits qu’elle a subis et ne pas retenir une infraction pénale », détaille le juriste.
Plus courante dans les prétoires en matière de violences sexuelles, la victimisation secondaire « n’est pas systématique », assure Me Carine Durrieu Diebolt. « On peut avoir une défense efficace sans victimisation secondaire, mais on a encore certains confrères qui usent de ces méthodes là », regrette l’avocate.
Une violence qui « n’est absolument pas utile à la manifestation de la vérité », poursuit-elle. « Ça a uniquement pour vocation d’humilier et de porter atteinte à la dignité des victimes. » Et de conclure: « les magistrats peuvent s’emparer de la police de l’audience et intervenir pour faire stopper ce type d’agissements-là. On a la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme qui autorise cela. »
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